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Qualité & management

Portrait des 56 000 agents territoriaux du grand âge : ils sont conscients de leur utilité sociale

Auteur Annie De Vivie

Temps de lecture 7 min

Date de publication 21/12/2022

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L'observatoire de la Mutuelle nationale territoriale (MNT) publie une étude sur les métiers du grand âge dans la fonction publique territoriale, menée avec l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas).

Ces professionnels de terrain au sein des services publics (mairies, CCAS, CIAS) couvrent une vingtaine de métiers. Ils ont accepté le micro tendu et sortent de leur invisibilité.

Parmi les 1,9 million d’agents territoriaux, 56 000 agents travaillent sur le strict champ d’activité du grand âge. Ils sont conscients de leur utilité sociale, mais réclament de la reconnaissance, de la stabilité et des taux d'encadrement renforcés, opposables.

Les agents du grand âge : tous soignants !

"Ces métiers du lien et du soin sont apparus « essentiels » avec la crise sanitaire et les confinements. Ils soutiennent la vie (jusqu'à la fin de vie, sujet ô combien intime), ils sont des soignants au sens large. Le cuisinier d’un Ehpad est un soignant car son apport est déterminant pour les résidents. L’expertise de tous ces agents doit être reconnue", estiment Jean-René Moreau (vice-président honoraire de la MNT, président de l’Observatoire MNT) et Laurent Besozzi (vice-président de la MNT, de l’Observatoire MNT et de la Mutualité fonction publique).

Ces métiers indispensables sont rendus invisibles par le maquis institutionnel du secteur. "La double tutelle des ARS et des départements entraine une certaine complexité du pilotage et du financement. À celle-ci s’ajoute une grande diversité des structures : publique territoriale, associative, mutualiste ou privée," sans oublier l'emploi direct.

"Enfin, la réforme du grand âge tant attendue laisse en suspens les besoins non encore résolus en matière de politique publique. De la catégorie A à la catégorie C, les agents territoriaux souffrent de ces contraintes de moyens et d’organisation du travail, au détriment de leur santé et in fine de l'accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité."

"Les employeurs peinent à enrayer la crise des vocations. L’attractivité est difficile à créer avec peu de titularisations. Ce levier habituel de recrutement pour d’autres métiers territoriaux, puisqu’il promet la protection du statut, est plus difficile à mobiliser faute de moyens liés à des financements complexes. Pourtant, offrir une certaine stabilité à ces postes, c’est lutter contre la précarité. Offrir une meilleure qualité de vie au travail, c’est éviter l’épuisement, l’absentéisme et les remplacements, des problématiques quotidiennes à gérer".

Donner à voir la beauté de ces métiers du lien

L'Observatoire MNT a cherché à donner à voir, à travers l’enjeu de la dignité des personnes âgées, la dignité de celles et de ceux qui prennent soin d’elles, sachant que 9 sur 10 sont des femmes.

Ceux sont des métiers du lien. Comme le dit Frédéric Worms, philosophe, membre du CCNE (Conseil consultatif national d’éthique), "le vital ne s’arrête pas au corporel, et pour les êtres humains sont vitales aussi les relations. On peut mourir de ne pas être respecté, comme on peut mourir de ne pas être nourri ou soigné". L'avis du CCNE du 30 mars 2020 rappelle ainsi que "le respect de la dignité humaine (...) inclut le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes".

L'Observatoire MNT a mené l'enquête auprès des professionnels de terrain et réalisé 60 entretiens auprès d’un échantillon de structures variées et représentatives (CCAS, Ehpad, résidences autonomie, services et soins à domicile) dans la diversité des territoires et des métiers (emplois de direction et d’encadrement, aides à domicile, auxiliaires de vie sociale, aides-soignantes, infirmières, et aussi animatrices, agents d’accueil, porteurs de repas, lingère, cuisinier, etc.). Une série d’entretiens avec des experts et des personnes-ressources (CNFPT, centres de gestion, conseils départementaux, organisations syndicales, réseau VYV, etc.) a complété cette enquête.

"Nos métiers, c’est la vraie vie. C’est ce que je dis aux jeunes qui nous rejoignent : si vous avez envie de connaître ce qu’est la vraie vie, venez chez nous", explique Fabiola, responsable de secteur en Saad, employée dans le CCAS d’une grande ville de l’Est depuis 25 ans.

Des difficultés et des beautés à reconnaître pour ces métiers essentiels

"Manque d’effectifs, turn-over important, attente d’une réforme sans cesse reportée face à l’augmentation continue du nombre de personnes dépendantes, etc. Depuis des années, la politique du grand âge se dégrade
et les difficultés quotidiennes des professionnels sont à l’origine d’un malaise croissant"
estime l'étude.

Ainsi 15 % des effectifs des Ehpad étudiés avaient moins d’un an d’ancienneté sachant qu'ils sont 211 000 à 216 000 professionnels dans les services à domicile avec une moyenne d'âge de 43,6 ans.
30 % des effectifs relèvent de la contractualisation, soit huit points au-dessus de la moyenne nationale.

"L’hébergement social des personnes âgées présente l’indice de fréquence le plus élevé en ce qui concerne les lombalgies et parmi les plus élevés pour les risques psychiques liés au travail. Cette sinistralité AT/MP va de pair avec un fort absentéisme (médiane à 10 % en 2016 dans le secteur des Ehpad, pour une médiane nationale à 8,8 %) et un turn-over élevé"
rappelle l'étude.

"L’entretien courant fait partie de nos missions, mais ne se limite pas à cela. De l’aide à la toilette jusqu’aux démarches administratives, il y a plein de choses à faire, c’est un métier où il faut prendre des initiatives", témoigne Jean-Marc, auxiliaire de vie sociale dans un Saad d’une grande ville depuis cinq ans. "Ce qui fait la force d’un service public, c’est qu’on n’est pas tout seul. En cas de problèmes, on peut appeler les collègues et les personnes-ressources. Ce que nous faisons ici est considéré comme un vrai métier. On a un catalogue de formations qui nous sont proposées avec le CNFPT et c’est utile : formation à l’accompagnement de fin de vie, formation aux pathologies du vieillissement avec mise en situation, formation au bien-être au travail."

"Essentiels ? Personne ne nous avait appelés ainsi jusqu’alors. Puis, quand la crise éclate, on le devient. Il faut aller travailler. Nous avons été identifiés comme tels dans les documents du Plan de continuité d’activité de la collectivité."

Les propositions : des formations et des taux d’encadrement renforcés et opposables

Dé-précariser les métiers : l'observatoire invite à une vague de titularisation des CDD en fonction des budgets annuels, la revalorisation des rémunérations avec un alignement sur les avancées du Ségur de la santé, la prise en charge des frais kilométriques, des temps de déplacement, etc.

L'étude constate un taux d'encadrement de 1 soignant pour 15 résidents en Ehpad et demande un pour 7.

Elle invite renforcer la formation et la pertinence de l’analyse de la pratique, à réaliser de préférence en groupe et tous les deux mois. Cette démarche consiste à transformer le savoir-faire opérationnel, non réfléchi, presque mécanique, en un savoir-faire réfléchi et conceptualisé.

Les professionnels demandent des équipements adaptés et acceptés par les personnes à leur domicile si besoin.

Et un management ajusté : "Au fil des entretiens, nous avons constaté que, dans de nombreuses structures, réside une forte culture de l’échange qui fait la force de l’individu et du collectif de travail" constate l'Observatoire MNT avec les technologies, le soutien psychologique face à la charge émotionnelle de la vieillesse et de la mort, le défi de la maltraitance.

L’observatoire mise sur les futurs centres ressources territoriaux (Ehpad, Spasad) dans des villes inclusives, (NDLR : labellisées amies des aînés) avec des équipes les plus autonomes possibles (modèle Buurtzorg), et des professionnels en appui de l'autonomie, sans se substituer à la personne, l’accompagnant dans la réalisation des gestes quotidiens, "les mains dans le dos", selon l’expression consacrée en Suède.

L'observatoire invite à miser sur la formation des professionnels face à l'accompagnement de situations complexes avec des pistes comme l'Académie des métiers de l’autonomie en Corrèze ou des démarches comme l'Humanitude et son label de bientraitance.

Et sans surprise pour un observatoire de la fonction publique territoriale, l'étude propose de faire du département le pilote d’un grand service public de l’autonomie et pousse au regroupement des employeurs, en renforçant les passerelles professionnelles entre Ehpad et domicile notamment.

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